– Un peu d’histoire…
Afin de contextualiser cette forme d’accompagnement à visée thérapeutique, il est intéressant de (re)découvrir rapidement les origines de l’art-thérapie, par un petit détour historique…
Au xixè et au xxè siècles, dans les asiles d’aliénés, F. Leuret proposait des spectacles aux malades dans une optique de soins…
« Spectacles. On a proposé, comme moyen de distraction, de faire jouer aux aliénés la comédie. Il paraît même que cette pratique est en vogue dans quelques instituts pour aliénés en Allemagne. […] Il me semble que la prudence exige de permettre tout au plus, en quelques cas de folie, que le malade assiste, en spectateur, à des pièces choisies. […] Elle [la cure] ne peut convenir que dans quelques genres de monomanie et dans la convalescence.[1]»
Cependant, Esquirol, suivi par de nombreux psychiatres, prônera fermement l’interdiction aux aliénés d’assister à des spectacles, des concerts et des bals. Plutôt que de privilégier la pratique artistique à cette même période, l’on mettra en avant les bienfaits du travail et de l’artisanat qui seront envisagés comme des thérapies.
En 1912, la revue Imago sera lancée par Freud : on y trouvera des articles sur la psychanalyse des œuvres[2]. Des œuvres connues (littéraires, poétiques, musicales) y sont analysées afin d’en savoir plus sur leurs auteurs.
La première exposition d’art psychopathologique a lieu en 1950 à l’Hôpital Sainte-Anne. « L’âne ne monte pas au cerisier » sera le nom de cet événement organisé par le peintre Schwarz-Abrys : il y exposera les toiles peintes pendant ses années d’internement à Sainte Anne pendant la seconde guerre mondiale. Puis, s’en suivirent, dans les années 1950-60 de nombreux courants qui se sont focalisés essentiellement sur l’analyse et la classification des œuvres des malades mentaux :
« Ce courant considère l’œuvre comme un symptôme parmi les autres, susceptible d’être classifié dans une confrontation des documents cliniques, des signes de la maladie, et de la personnalité du malade.[3]»
Et le premier à avoir évoqué le terme d’art-thérapie et à l’avoir mis en pratique, c’est Adrian Hill, qui, hospitalisé pendant une longue période, s’était mis à peindre dans sa chambre d’hôpital.
A noter que, contrairement aux pays anglo-saxons, l’art-thérapie en France couvre vraiment tous les champs artistiques à savoir les arts de la scène, la musique, la photo, la vidéo, les installations, etc… (Et pas seulement les arts plastiques).
– … Et une courte définition
Dans l’art-thérapie, il n’est pas question d’interprétation, ni d’analyse. L’art-thérapie propose à des personnes malades ou en difficulté, un accompagnement de leur production artistique :
« Ce travail subtil qui prend les vulnérabilités comme matériau, recherche moins à dévoiler les significations inconscientes des productions qu’à permettre au sujet de se re-créer lui-même, se créer de nouveau […]. L’art-thérapie est aussi l’art de se projeter dans une œuvre comme message énigmatique en mouvement et de travailler sur cette œuvre pour travailler sur soi-même.
L’art-thérapie est un détour pour s’approcher de soi. L’art-thérapie est une symbolisation accompagnée..[4]»
Ce que fait remarquer J.P. Klein, c’est qu’il y a justement danger à interpréter de manière systématique les œuvres artistiques de malades car, dans ce cas, on se retrouve dans une situation classique d’un échange de langage verbal :
« Or l’art-thérapie, qui préconise le débrayage dans l’œuvre, aboutit à des productions dont l’intérêt est justement leur ambiguïté qu’elle respecte, au moins en partie. L’art-thérapie est un masque qu’il ne faut pas dévoiler trop précocement et inconsidérément. […] Le détour par le support artistique révèle ce que les procédés habituels de la psychothérapie sont parfois impuissants à mettre en évidence, confrontés à l’irréductible de l’inanalysable.[5]»
Le cadre de l’art-thérapie permet de mettre en place les conditions favorables de création afin que chaque personne[6] se sente en sécurité et puisse, dans le groupe, créer une œuvre artistique grâce à une proposition d’un ou de plusieurs médiums artistiques.
« La thérapie, qu’elle qu’en soit l’approche, consiste pour nous à savoir comment mettre en place les conditions pour faire advenir chez l’autre la forme qui lui fait sens particulier.[7]»
Pour ma part, grâce à la formation de médiatrice artistique en art-thérapie et à mon expérimentation de nombreux ateliers avec différents publics, il m’a été possible d’établir un éventail de propositions artistiques : autant de moyens de s’exprimer ! En effet, c’est en partant du constat que l’expression théâtrale rebute parfois et même qu’elle peut être violemment refusée que j’ai progressivement construit un éventail d’activités le plus diversifié possible afin d’être en capacité d’accompagner les personnes qui m’étaient confiées dans le cadre d’ateliers d’art-thérapie. Les moyens d’expression artistique que je propose aujourd’hui sont, entre autre, l’écriture, la photo, la vidéo, les arts plastiques[8].
[1] Joseph Guislain, Traité sur l’aliénation mentale et sur les hospices des aliénés. Amsterdam, 1826, I ; p.277 – URL : http://psychiatrie.histoire.free.fr/vieasil/theatre.htm
[2] Site Internet Universalis.fr – Psychanalyse des œuvres, articleécrit Pierre Kaufmann
URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/psychanalyse-des-oeuvres/#i_0
[3] L’art-thérapie, Jean-Pierre Klein – Que sais-je ? Presses Universitaires de France (2008), p. 15
[4] Penser l’art-thérapie, Jean-Pierre Klein, Presses Universitaires de France (2012) p. 106
[5] L’art-thérapie, Jean-Pierre Klein – Que sais-je ? Presses Universitaires de France – 2008, p. 19
[6] Pour une facilité de lecture, quand on parlera de « personne », il faudra lire « personne accompagnée dans le cadre d’un atelier de médiation artistique en art-thérapie, proposé par un établissement d’accueil, de soins, éducatifs, pédagogiques ou autres ».
[7] Penser l’art-thérapie, Jean-Pierre Klein, Presses Universitaires de France (2012) p. 275
[8] Cf annexe n°1 : « Propositions d’activités dans le cadre d’un atelier d’art-thérapie (Écriture et Expression)